Bibliothèque rayon "Littérature"
Réflexion permanente sur le Taoisme
LA NON-DUALITE DE L'ETRE ET DU NON-ETRE
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(wu sheng sheng wu wu yi sheng, you hua hua you you yi hua)
Ces deux sentences parallèles viennent d'un temple taoïste; la personne qui nous les a communiquées n'en connaît pas la provenance exacte ni son auteur.
Elles sont toutefois très interéssantes et nous rappellent immédiatement le début de l'exposition doctrinale du Liezi, dans lequel on peut rechercher la clé d'interprétation.
La première sentence, qui commence par wu (non-être), correspond à la colonne droite de qui regarde la porte, tandis que l'autre sentence commence par you (être) et est placée sur l'autre colonne. Si l'on considère qu'à la porte correspond la divinité par excellence ou Laozi même, alors le Non-Être est à sa gauche et l'Etre à sa droite et nous pouvons les mettre en correspondance avec les premiers deux hexagrammes du Yijing, Qian et Kun. On attribue au Non-Être la faculté de génération universelle (sheng sheng) et à l'Etre celle de modifier et perfectionner tout ce qui est engendré (hua hua). Selon la doctrine du Yijing, la "Perfection Active" (Qian) engendre les êtres et la "Perfection Passive" (Kun) les perfectionne dans la forme. Tout ceci est doctrine bien connue. La difficulté de l'interprétation des deux sentences se trouve dans leur deuxième partie, qui crée des doutes aussi sur la ponctuation générale à adopter. Si l¹on avait recours à la doctrine taoïste de Laozi, on pourrait dire que Wuji engendre l'Etre et Taiji en modifie et transforme la multiplicité des modalités, en entendant par Taiji l'interaction de yin et yang. Jusqu'ici nous avons développé les rapports entre les premiers trois idéogrammes des deux sentences. Lues par un Chinois moderne, ces deux sentences sembleraient à première vue devoir se lire selon la combinaison suivante: wu-sheng sheng wu, wu yi sheng; you-hua hua you, you yi hua. Il y a un non-né qui engendre le non-être: le non-être aussi est engendré! Il y a une transformation qui transforme l¹être: l'être aussi est transformé! Ainsi traduites, ces deux sentences sembleraient confirmer
les modernes théories matérialistes ou suggérer
un principe supérieur au Non-Etre: on serait dérouté
dans les deux cas. Mais les textes traditionnaux tels que l'Yijing et
le Liezi nous démontrent que la ponctuation ne peut que commencer
de la façon indiquée plus haut, où sheng sheng
et hua hua jouent un rôle verbal et sont répétés
pour marquer une action sans solution de continuité. Il reste
donc à affronter les derniers quatre idéogrammes des deux
sentences. Wu, sheng sheng; wu, wu yi sheng. En mettant en contraste la lecture "moderne" avec la traditionnelle, nous pourrions dire que Si, par absurde, le Non-Être générait un non-être, il en résulterait que le Non-Être serait engendré à son tour! Et si, par absurde, on admettait que quelque chose transforme l'Etre, il en résulterait que l'Etre aussi serait transformé! |
Tout ceci nous suggère qu'en réalité Non-Être et Etre sont deux aspects d'une seule réalité non-duelle et que le mental humain seulement, en essayant de s'approcher d'une idée impensable, s'en représente deux aspects, qui en définitive ne sont que deux productions temporaires, qui devront être dépassées par la réalisation métaphysique de la non-dualité. Il en va de même pour Qian et Kun. En conclusion, les deux sentences sont un avertissement, en milieu taoïste, destiné à pousser les chercheurs de la vérité à dépasser les perspectives cosmologiques en obtenant l'accès à la connaissance transcendante et non-duelle, qui est purement métaphysique.
Li Wei
Pékin, 2003-02-25