Bibliothèque rayon "Littérature"

l'OEIL ROUGE

Une Interview d'Alain Quesnel

-Sergeï : Mythes d'asie, mythes grecs, mythes des Indiens d'Amérique, passe-t-on d'une sphère à l'autre, d'une civilisation à l'autre ou bien reste-t-on au fond dans le même domaine ?

-Alain Quesnel : La question est mal posée. On constate des convergences étonnantes entre les mythes de civilisations qui se sont foncièrement ignorées. Ainsi le mythe grec d'Orphée descendant aux Enfers à la recherche de son épouse, Eurydice, se retrouve presque identique dans le mythe japonais d'Izanagi et de sa femme Izanami. Dans les deux cas, l'homme descend aux Enfers, y retrouve la femme aimée et la perd. Le mythe du Déluge est, lui aussi, quasi universel : les Sumériens, les Hébreux, les Grecs, les Celtes, les Américains pré-colombiens, les Chinois l'ont connu. On pourrait multiplier les rapprochements. On en peut conclure à l'universalité de schémas mythiques qui relèvent peut-être de ce que C. G. Jung appelait "l'inconscient collectif" ou, peut-être, d'une élaboration pré-historique dont le donné nous échappe encore. Quoi qu'il en soit, il y a dans tous les mythes une universalité, confondante pour l'esprit, qui attend encore (malgré les travaux de Mircea Eliade ou de Levi-Strauss, pour ne nommer qu'eux) une explication. Celle de René Girard est impressionnante, mais, mise au service exclusif du catholicisme, elle perd beaucoup de sa splendeur.

S : Alors, qu'est-ce qu'un mythe? Doit-on le distinguer de la légende, du conte, de la religion ?

A.Q. : Un mythe est un récit qui se veut explicatif et fondateur d'une pratique sociale. A ces deux titres, il se distingue de la légende (qui suppose une réalité humaine plus ou moins identifiable, historiquement), du conte qui affabule mais n'explique pas, du roman qui "explique" -plus ou moins- mais ne "fonde" pas.

S : Quelle conception du monde ressort des mythes asiatiques ?

A.Q. : Les mythes asiatiques ne disent rien d'autre que les autres : Le monde dans lequel vous avez eu la déveine d'être né est (à peu près) comme ça. Débrouillez-vous avec.

S : Peut-on distinguer sur le fond les légendes de Chine, du Japon, du Viet Nam etc. ou bien sent-on qu'il s'agit d'une même famille culturelle ?

A.Q. : Je ne connais rien du Viet-Nam. Je ne vois pas beaucoup de parenté entre Chine et Japon. Le bouddhisme Chan devient le Zen. Rien sur le plan des créations mythiques et légendaires (sinon la "nipponisation vampirisante " des patriarches chan). La tradition shintoïste - pour ce que j'en connais - me paraît riche et curieusement "occidentale". De nombreux parallèles avec la Grèce antique pourraient être tracés. La mythologie chinoise comporte aussi des points communs (le "paradis de l'ouest") avec l'Occident mais me semble, sur d'autres points, d'une radicale originalité. Il est possible que cela vienne de mon ignorance!

S : Quelles racines peut se trouver un Occidental dans l'univers des mythes ? Les Celtes ? Les Grecs ? ou bien doit-il puiser aux sources légendaires qui sont le fond commun de toute l'humanité ?

A.Q. : Les Occidentaux comme les Orientaux n'ont pas à chercher de racines. Les mythes sont vivants, tous les jours, ici et maintenant. Sauf à se priver du langage, de la conceptualisation, de la pensée symbolique, nous ne pouvons jamais nous passer de mythes, de récits, d'histoire qui nous permettent de penser ce que nous vivons. Ces mythes sont vivants pour nous. Je ne doute pas qu'un jour une "notion" (un mythe) comme celle de "progrès" soit regardée comme l'équivalent d'un dieu grec, disons Zeus. Un historien des cultures écrira : "En 1998, les Occidentaux croyaient en une divinité fondamentale : PROGRES (qu'on peut remplacer par ses hypostases : technologie et information)."

S : Y-a-t-il certains aspects que vous n'avez pu aborder dans vos livres?

A.Q. : Je n'ai rien abordé dans mes livres. J'ai frôlé. Ma vie, mon éthique, ma sensibilité se fondent sur le seul frôlement.

S : Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

A.Q. : Je ne "travaille" pas ou alors je ne m'en suis pas aperçu. J'ai vécu à perte, comme tout le monde, mais pour le plaisir.

Alain Quesnel, professeur agrégé de lettres, diplômé de philosophie, a écrit une série d'albums sur les mythes et légendes grecques, égyptiennes, amérindiennes et asiatiques chez Hachette. Parallèlement, il a publié aux PUF (collection "premières leçons sur ") des études sur Stendhal, Rousseau, Hugo et Racine.

Evreux, février 1999.