Bibliothèque rayon "Voix d'Asie"

Le Dragon Blanc De Nagano

Début 98 a eu lieu au Japon les XVIIIe jeux olympiques d'hiver . Le site choisi a été la région de Nagano. Les habitants, tout naturellement, sont fiers de ce choix. De leur côté, les écologistes ont obtenu de nombreuses modifications au projet initial d'aménagement du site. L'idée alors a germé de faire connaître certains aspects de la culture régionale afin de mettre en valeur son originalité. Ceci contraste avec la fâcheuse habitude des étrangers de considérer la culture japonaise d'une façon plutôt monolithique. Une initiative heureuse a vu le jour, financée spontanément par les habitants de la région. Un mythe fondateur, particulièrement représentatif pour Nagano, a été mis par écrit, traduit en anglais et en français, illustré par le fameux dessinateur Yamada Akira et sera mis en vente en édition trilingue pour l'occasion. Saluons au passage M. Jean Maiffredy, auquel nous sommes redevables de la participation française. Il s'agit de la légende de Kurohimé, la princesse noire, et du dragon blanc. Au Japon comme en Chine, le dragon est une divinité du vent et de l'eau. Pendant l'ère Sengoku, que l'on appelle également la période des provinces en guerre, un seigneur se distingua particulièrement, le Daimyo Takanoshi Masamori. Il avait vaincu et décapité son rival, le général Uesugi Akisada à la bataille de Nagamorihara. Il dirigeait la région nord de Shinano. Le seigneur Masamori avait une fille merveilleusement belle, la princesse Kurohimé, qui venait d'avoir dix-huit ans. Comme chaque année, on fêtait les sakuras, les cerisiers en fleurs. Les festivités ont lieu en avril dans tout le Japon et ce jour-là, dans de beaux habits, l'on s'installe sous les cerisiers avec un pique-nique et l'on boit du saké en bavardant, chantant ou jouant à des jeux de société. Ce soir-là, apparut un serpent blanc, qui se promena nonchalamment autour des convives. Masamori pensa qu'il s'agissait d'un envoyé de la déesse de la musique et des eaux. Il demanda à Kurohimé de lui offrir une coupe de saké. L'offrande de saké est en soi honorifique mais que la princesse elle-même la présente de ses mains apportait au présent une valeur sans prix. Le serpent s'approcha et but dans la coupe avant de disparaître. Peu de temps après, un jeune et brillant samouraï fut annoncé aux portes du château. Il désirait parler à Masamori mais refusait de décliner son identité. Le Daimyo, à cause de ce manque de respect pour l'étiquette, n'accepta pas de le recevoir mais demanda à d'habiles serviteurs de le suivre discrètement quand il s'en retournerait afin de découvrir son nom et son origine. Les gens de Masamori revinrent bredouille. On l'avait suivi jusqu'au mont Shiga mais on avait perdu sa trace sur les rives du lac Onuma. Masamori en parla à sa fille Kurohimé. La princesse avait fait de bien étranges songes, ces nuits dernières. Un jeune et beau samouraï, vêtu de blanc, était venu à elle. Il se présentait comme le dragon du lac et voulait l'épouser. Masamori était peu sensible à cet honneur qui lui était fait. Quel père accepterait de donner sa fille en mariage à un dragon ? Il s'agissait maintenant d'écarter l'importun. Lorsque le samouraï se présenta à nouveau aux portes du château, on le laissa entrer. S'inclinant humblement devant Masamori, il dit son nom, Kokuryu, et demanda effectivement la main de la princesse. Masamori fit semblant de réfléchir et proposa une épreuve au prétendant. Kokuryu était prêt à prouver sa détermination et son courage. Il accepta le défi. Il s'agissait d'une course autour des douves. Masamori était monté sur son rapide coursier et Kokuryu était à pieds. Il était interdit à ce dernier de se transformer en dragon à aucun moment sous peine d'annulation de l'épreuve. Malgré la vitesse du cheval de Masamori, Kokuryu restait à sa hauteur. Des pièges avaient été disposés tout au long du parcours. Des sabres effilés qui le saignaient comme un pourceau mais si forte était sa détermination et son amour qu'il continua et qu'il gagna. C'est affaibli et sanguinolent qu'il réclama son dû. Hélas, tout n'était pas joué pour lui. Les vassaux de Masamori se jetèrent sur lui comme à la curée et tentèrent de l'achever à coups de lances. Le ciel devint sombre en un instant. L'orage éclata. Kokuryu disparut dans un éclair et l'on vit apparaître un dragon menaçant dans le ciel. La foule se dispersa. Masamori et ses serviteurs se réfugièrent au château. Pendant se temps, la tempête faisait rage. Le lac Onuma déborda. Puis, quarante-huit autres dragons, par solidarité, firent déborder les eaux de leurs lacs. Ce fut un véritable déluge. Les inondations et les avalanches dévastèrent le pays. On ne comptait plus les victimes. Chacun tentait de sauver sa peau, ses proches et ses maigres biens. Masamori emmena Kurohimé vers l'est. La princesse se sentait remplie de compassion pour les souffrances des habitants. Elle implora la Bodhisattva Kannon, Bouddha de miséricorde. La réponse était claire. Kurohimé n'avait d'autre alternative que de rejoindre Kokuryu, afin de tenir les engagements de Masamori et apaiser ainsi le dragon. Vêtue de ses plus beaux atours, elle monta sur un rocher éminent et appela Kokuryu. Un tourbillon l'emporta et le déluge cessa. Chaque dragon rentrait sagement dans son lac. Sauf un grand dragon blanc que l'on vit voler vers l'ouest. Kurohimé le chevauchait. Ils allaient sur le mont Hime dans la région de Shinano du nord. Ce sommet s'appela bientôt Mont Kurohimé et chaque 17 juillet, au temple Unryuji, les habitants de la région commémorent la mémoire de la princesse. Mais on dit également que deux jours plus tard, le 19 juillet, pour la fête de Gion où l'on célèbre la victoire de Masamori Takanoshi à Nagamorihara, alors il se met à pleuvoir. Est-ce parce que Kurohimé retourne chez elle à cette occasion ? Est-ce un effet de la rancune de Kokuryu ? En assistant aux compétitions des jeux olympiques de Nagano, on admirera les splendides paysages du lac Iwakura dans le massif de Shiga-Kogen et l'on se souviendra qu'il est également un site légendaire dont les habitants de Nagano sont fiers et dont ils veulent faire connaître la richesse culturelle autant qu'esthétique.

Serge Leclercq, Tokyo, 23 sept 97, revu le 20 janvier 2001