Bibliothèque rayon "Voix d'Asie"
Temple de l'échiquier
A l'extrême ouest de la Chine, dans le Yunnan, se trouve un temple taoiste, qui remonte à l'époque des Han et des Tang, appelé le temple de l'échiquier. Les fresques qui s'y trouvent décrivent l'histoire d'un immortel taoïste qui joue au Go (Weiqi en Chinois) et par ce moyen rétablit l'équilibre cosmique et assujetit les démons et les dragons. | ||
Certaines fresques montrent des parties où les pions sont disposés de manière à représenter des constellations célestes ( J'espère que cette remarque apportera quelques intéressantes suggestions à nos lecteurs amateurs du jeu de go). | ![]() |
Le site lui-même couvre 765 hectares, à presque 2500 mètres d'altitude. Là, se trouvait, dans les temps les plus anciens, une forêt. Près du sommet, dans un bosquet, deux empreintes gigantesques, creusées dans la roche, marquent le passage d'un immortel dans ce lieu sacré. |
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La légende raconte qu'un jeune bûcheron de dix-neuf ans qui passait par là, vit deux immortels qui jouaient au Weiqi. Il posa son baluchon et les observa. C'était l'Ancien de la Grande Ourse et l'Ancien du Pôle Sud.Le premier qui régit le monde des morts avait les pions noirs tandis que le second, qui protège la vie, avait les pions blancs. |
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Tous deux s'étaient engagés dans une partie cosmique, où yin et yang, vie et mort, s'affrontaient, se substituaient et régulaient l'activité de l'univers. Combien de temps cela dura ? Comment le dire. La partie se termina et les deux immortels prirent leur vol en direction des nuages. Le jeune homme chercha ses affaires en vain et reprit le chemin du village. Tout avait changé. Certaines maisons avaient été bâties qu'il ne connaissait pas. D'autres n'existaient plus. Les gens qu'il fréquentait avaient vieilli. On le regardait avec effarement comme s'il était devenu un fantôme. Il quitta le village avant que la surprise des habitants ne se transforme en hostilité. Il retourna dans la montagne et réfléchit. La partie à laquelle il avait assisté lui avait permis d'échapper aux effets du temps et ainsi il avait acquis la longévité. Il retourna à l'endroit de la partie, là où les immortels avaient laissé l'échiquier. Il s'entraîna sans relâche, essayant de comprendre le déroulement de la partie cosmique dont il avait été le témoin. Il remporta également plusieurs parties contre des démons et des dragons et les domina par ce moyen. Il arriva à l'âge de 119 ans et obtint l'immortalité. Il laissa ses traces de pas dans la roche au moment où il quitta les lieux de son étude. La montagne devint un lieu sacré que l'on appela "la montagne de l'échiquier". On y construisit un temple. Par la suite, le temple tomba en ruine pourtant, quelques taoïstes continuaient à y habiter, ayant construit des cabanes de fortune. Les habitants des environs avaient gardé l'habitude d'y venir lors de certaines fêtes afin d'y accomplir quelques rites propitiatoires. Les Taoïstes accomplissaient des rites de protection pour la région et pour Kunming en particulier. Avant la Révolution Culturelle, le taoïsme de la région possédait deux centres importants : le temple d'or (Jin Dian) à l'est de Kunming et le Qipan shan au Nord-ouest. Ces deux centres conservaient deux enseignements différents. | ||
Les pratiquants de Taijiquan auront d'ailleurs le plaisir de découvrir quelques fresques représentant Zhang San Feng, l'ancêtre mythique de leur pratique au Jin Dian et au Yuan Tong Si (Monastère de la Connaissance Parfaite). | ![]() |
Le Qipan shan ou temple de l'échiquier était considéré comme un lieu particulièrement chargé de spiritualité. La montagne a la forme d'un dragon lové sur lui-même. Les nuages s'y rassemblaient à mi-hauteur, créant une atmosphère surnaturelle. Un étroit chemin conduisait au sommet par d'innombrables méandres. |
La Révolution Culturelle n'épargna personne mais quelque chose de la tradition populaire survécut et quelques ermites taoïstes s'étaient faits gardiens des lieux. En 1988, Li Fang, ancien officier de l'armée de libération devenu responsable de district et cumulant de nombreuses charges officielles s'aperçut des formidables potentialités des lieux. Le temple se trouvant à 20 km au NO de Kunming, la capitale provinciale du Yunnan, il suffirait de faciliter l'accès à ses lieux par la réfection de la route après reconstruction du temple et de nombreux visiteurs ne manqueraient pas de s'y presser. Li Fang étudia très sérieusement les textes taoïstes, l'architecture des temples, les rites, la symbolique. Il visita tous les sites taoïstes les plus connus et élabora ainsi les plans et le projet de restauration du temple de l'échiquier. Les travaux commencèrent, sous sa direction, en 1995. L'Etat finança 16 Millions de Yuans pour le temple et 600 millions de Yuans pour la route. L'inauguration eut lieu en 1996. Des autorités spirituelles du taoïsme vinrent consacrer le temple. Les travaux continuèrent mais la montagne, déclarée "site touristique" fut ouverte aux visites. | ||
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Là où se trouvait le bosquet, est situé le temple avec ses édifices. La salle principale renferme les empreintes, creusées dans la roche et mesurant près de 1 mètre de long. |
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Elles sont dominées par la statue gigantesque et dorée de l'immortel de l'échiquier. Des fresques racontent les légendes qui entourent son existence.L'une d'elles raconte comment il réussit à vaincre un dragon au weiqi. | ![]() |
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A l'extérieur, se trouve le chaudron traditionnel en bronze, la statue de la fée des fleurs, symbole de la femme idéale, celle de l'esprit de la Lune, qui favorise les rencontres amoureuses et les liaisons durables. | ![]() |
Cette statue est encadrée par deux
rangées d'arbres. Les amants les joignent par paire avec un long fil
rouge. Deux salles ouvertes sur l'extérieure contiennent les représentations
des soixantes génies des signes cycliques. Le calendrier traditionnel
chinois comprend dix Troncs Célestes et douze Rameaux Terrestres qui
se combinent en soixante signes cycliques en vertu de l'alternance des
cinq Agents (appelés aussi cinq éléments : Terre, Feu, Eau, Bois, Métal).
Un signe traduit la situation du Ciel (temps) et de la Terre (espace)
à un moment cyclique particulier et se trouve en rapport avec la destinée
des individus. Le même rameau terrestre de l'année revient tous les
douze ans mais il faut soixante ans pour que le tronc céleste coïncide
à nouveau avec le rameau terrestre. Chacune de ces conjonctions est
représentée par une divinité qui possède des caractéristiques psychologiques,
des qualités, un tempérament. Le visiteur est toujours curieux de découvrir
la divinité qui correspond à son année de naissance. Selon la croyance
populaire, l'individu qui se trouve dans l'année de sa propre conjonction
doit porter un fil rouge au poignet et/ou une pièce de jade à sa ceinture.
Actuellement, trois nonnes habitent en permanence le monastère. Toutes
les trois sont originaires du Yunnan. Cette région conserve les traditions
populaires taoïstes très anciennes du "courant méridional" réputé le
plus ritualiste et fameux pour ses exorcismes. La supérieure ayant grandi
dans ce milieu taoïste a été envoyée au Temple des Nuages Blancs à Pékin
pour y recevoir son instruction. C'est pourquoi elle appartient au "courant
septentrional" de l'école Longmen, dont le centre est à Pékin. La Supérieure
du Qipan Shan a accepté fort gentiment de nous parler de ses pratiques.
Elles se répartissent en trois ordres, supérieur, moyen et inférieur.
Le niveau supérieur est la méditation solitaire et silencieuse, le niveau
moyen comporte des pratiques sur le souffle et des rituels, le niveau
inférieur comprend les travaux d'entretien du temple, les corvées ménagères
et l'assistance religieuse à la population. On doit réciter les textes
liturgiques au lever du soleil, à midi et au coucher du soleil mais
la récitation du midi a été supprimée pour le moment. Une cérémonie
accompagne la récitation du soir. Les textes fondamentaux, outre les
livres de rituels, sont le Dao De jing ( |
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Lu Chun Nevio Capodagli Serge Leclercq Kunming 31 mars 1999 | ||
Nous remercions Li Fang, qui nous a personnellement fait l'honneur de conduire la visite des lieux ainsi que la Supérieure du temple, Lin Zong Wen, qui a bien voulu répondre à notre feu roulant de questions sans se départir de sa sérénité.