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Portrait du sage chinois
Le "Vieux sage" des Occidentaux est un archétype qui se compose d'éléments pris à diverses traditions et qui correspond à une aspiration profonde de l'âme. Merlin l'enchanteur et son avatar Gandalf le magicien, les Gurus indiens, le moine de Shaolin, le vieux maître taoïste, l'ermite tibétain, le prophète des traditions sémitiques . Représente-t-il un idéal à atteindre ou un modèle rassurant de la vieillesse ? Est-il le protecteur auquel l'enfant désemparé fait appel et qui saura reconnaître sa valeur cachée ? Il semble, en tout cas le garant de l'existence d'une tradition où la vie aurait un sens.
Si nous nous plongeons dans sa légende, nous retrouvons un vieil alchimiste,
vivant dans la montagne , isolé du monde, inconnu de tous, libre de
se consacrer à des pratiques ésotériques . Confucius est plus militant.
Il veut réformer les moeurs, conseiller le gouvernement, éduquer le
peuple, instruire. C'est pourquoi la Voie Taoïste est souvent décrite
comme la voie sombre, Yin, et la voie des Lettrés, celle de Confucius,
comme la voie Yang, lumineuse et manifeste. Les taoïstes représenteraient
la voie ésotérique donc cachée de la tradition alors que les confucéens
seraient les représentants de la voie exotérique et manifeste de la
même tradition. C'est là la très belle image de l'écorce et de la moelle
de l'arbre. Laozi, du haut de la montagne, embrasse tout, d'un regard
désintéressé tandis que Confucius la gravit lentement par les sentiers,
ouvrant la voie à ceux qui désirent le suivre. L'un représente la perfection
de la voie et l'autre son humanité. Tout le monde est invité. Le Maître
Confucius montre la route à suivre. Confucius est célébré comme le "Sage
éducateur pour les dix mille générations". Il faut citer le Dao De Jing
(Tao To King): "Les sages qui anciennement transmettaient la Voie étaient
peu nombreux, profonds, mystérieux et pénétrants. Ils étaient trop profonds
pour qu'on puisse les comprendre. Quoique nous ne puissions les comprendre,
Travaillons à déterminer leur apparence. Ils étaient circonspects comme
celui qui, en hiver, traverse un fleuve glacé, respectueux comme l'hôte
qui rend visite, accommodants comme la glace qui cède (sous les pas),
simples comme la matière première, ouverts et réceptifs comme le creux
d'une montagne, insondables comme l'eau trouble. Qui est capable d'immobiliser
l'eau trouble et de la rendre plus claire? Qui est capable d'être paisible
et d'être actif au point d'allonger la vie? Ceux qui se maintiennent
dans cette voie ne désirent pas se répandre, et ainsi ils se préservent
et n'ont pas besoin de se renouveler." (Dao De Jing, XV) Ce passage
du Dao De Jing a été traduit de plusieurs façons. Tao Yin N°6 de janvier
98 nous fournissait un très beau texte: "Avec prudence comme qui traverse
un fleuve en hiver circonspect comme celui qui est observé par ses quatre
voisins réservé comme quiest en visite Qui pratique cet Art ne recherche
pas à se rassasier, et ne cherchant pas à se rassasier, il se renouvelle
perpétuellement" "Se répandre" ou "se rassasier"? La traduction de Nevio
Capodagli s'appuie sur des années d'études et un enseignement oral reçu
auprès des taoïstes du Yunnan. Cette interprétation est confortée par
celle de Matgioi, publiée en 1907 , qui, lui aussi, s'appuyait sur une
tradition orale. Il n'en reste pas moins que Matgioi, Albert Puyou de
Pouvourville de son vrai nom, s'écarte souvent du texte littéral afin
de mieux expliciter son contenu traditionnel et que, consultant le texte
chinois, on se demande comment il a pu en arriver à telle formulation.
Interprétation plus que traduction, ce texte offre une approche originale
par rapport aux traductions de sinologues. Consultons Duyvendak dont
la traduction chez Maisonneuve est la référence en la matière : "Qu'ils
étaient hésitants, comme quelqu'un qui passe à gué une rivière en hiver!
Qu'ils étaient circonspects, comme quelqu'un qui craint ses voisins
tout alentour! Qu'ils étaient réservés, comme un invité (en présence
de l'hôte)! Ceux qui conservaient cette Voie ne désiraient pas être
remplis. En effet, puisqu'ils n'étaient pas remplis, ils pouvaient s'user
sans être renouvelés." Personnellement, je lis aussi "rempli" dans le
texte chinois. Pour les problèmes de la traduction, je renvoie à l'excellent
article de Georges Charles dans un numéro précédent de Tao Yin. Au-delà
des divergences d'interprétations, nous remarquerons que cette description
correspond au type du sage chinois par excellence. Elle a un double
avantage parce que ce sage-là pourrait être aussi bien taoïste que confucéen
dans la mesure où sa réalité intérieure est tout à fait insondable de
l'extérieur. Il s'adapte aux circonstances, il dit "oui oui, non non"
tout en restant toujours détaché des contingences. Il a abandonné son
ego. "De l'homme, il a l'apparence, mais de l'homme, il n'a pas les
désirs4.. Ayant l'apparence humaine, il vit parmi les hommes, N'ayant
pas de désirs, il ne se soucie pas du oui ou du non." (Zhuang zi, V)
Existent-ils encore, ces Maîtres des légendes et des traditions? Nevio
a connu l'un d'eux et il a voulu en témoigner. Zhou Shanpu était un
de ces maîtres. Il portait bien son nom :
Nevio Cappodagli, Serge Leclercq Kunming, décembre 1998