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Voix d'Asie N°1

 

PETITE HISTOIRE DU CHAN

 

Les six patriarches du Chan

1. Da Mo       Bodhi-Dharma

2. Hui Ke        Connaissance de la Sagesse

3. Seng Can   Sangha Illuminatrice

4. Dao Xin   Confiance dans la Voie

5. Hong Ren   Vaste Patience

6. Hui Neng  Connaissance de ses capacités

 

Les Vingt-huit patriarches de l'Inde

1. Shâkyamuni

2. Mahâkâshyapa

3. Ananda

4. Shanavâsa

5. Upagupta

6. Dhritaka

7. Micchaka

8. Bouddha-nandi

9. Bouddha-mitra

10. Bhikshu Parshva

11. Punya-yashas

12. Ashvagosha

13. Bhikshu Kapimala

14. Nâgârjuna

15. Kânadeva

16. Arya Râhulata

17. Sangha-nandi

18. Sangha-yashas

19. Kumârata

20. Jayata

21. Vasubandhu

22. Manura

23. Haklenayashas

24. Bhikshu Simha

25. Vâshasita

26. Punyamitra

27. Prajnâtara

28. Bodhi-dharma

 

Ce petit livre de Nguyen Huu Khoa dans cette bien utile collection Point Sagesses au Seuil comble un vide. Au lieu de reprendre la bonne vieille série des six premiers patriarches, l'auteur part du 6e, Hui Neng et nous présente tour à tour soixante maîtres du Chan. Tout d'abord, on est étourdi par cette énumération de faits et gestes. Qui a fait quoi ? On s'y perd et notre mémoire est mise en défaut. Alors un autre mode de lecture s'impose. Au gré des anecdotes, on peut voir se dessiner le portrait du Maître Chan. Dans les rapports de maître à disciple, on discerne la pédagogie mise en oeuvre. Et puis l'on peut s'interroger sur ce qui a provoqué l'illumination de chacun d'eux.

Somme toute, pourquoi discriminer alors que le Chan nous invite à la démarche inverse ?

S'agissant d'une histoire (même petite) ce livre nous conte bien la transmission du flambeau et celui qui cherche l'information historique pourra dresser le tableau synoptique des cinq écoles du Chan.

Une critique tout de même. Pourquoi écrire " Tchan ". J'ai tout d'abord cru que l'auteur utilisait le système de transcription de l'Ecole Française d'Extrême-Orient qui est le seul à ne pas écrire " Chan ". Puis, je me suis aperçu qu'à cette exception près, il utilisait le système Wade, avec parfois des erreurs, ignorant systématiquement les apostrophes. Il écrit " tsao " au lieu de " ts'ao ", ce qui modifie considérablement la prononciation de la principale école chan chinoise (Cao dong) puisque " tsao " est " zao " en pinyin et " ts'ao " est " cao ". Je pense qu'il serait utile et facilement réalisable, de mettre en fin de volume, les noms des personnages en chinois (c'est-à-dire les caractères chinois) à côté de leurs transcriptions.

J'ai aussi un peu regretté que l'on commence par le 6e patriarche car pour un livre de vulgarisation, l'histoire des cinq précédents n'aurait pas été de trop et cela m'obligera à fournir un article de plus.

Hui Neng est le sixième patriarche. Il est le grand maître de l'école du sud. C'est en entendant le Sutra du Diamant, qu'il eut la révélation de sa voie. Il se rendit auprès de Hong Ren, le 5e patriarche. Celui-ci lui donna un emploi aux cuisines. Plus tard, pour désigner son successeur, il propose un test. Les candidats à sa succession devront rédiger une stance montrant leur parfaite compréhension du Dharma. Le premier disciple, Shen Xiu, propose :

Le corps est l'arbre de la bodhi

L'esprit est le support du miroir brillant

Sans cesse il faut l'essuyer

Afin que la poussière du monde ne s'y dépose pas

 

A quoi Hui Neng répondit :

 

La bodhi n'a jamais d'arbre

Le miroir brillant non plus n'a pas de support

Depuis l'origine pas une chose n'existe

Où la poussière du monde se dépose-t-elle ?

On a pu voir dans ces deux stances les grandes lignes du célèbre débat entre les partisans d'une échelle progressive vers l'éveil et ceux d'un éveil subit et immédiat . A la suite de cela, Hui Neng reçoit un enseignement de son maître. Ceci aura lieu secrètement, la nuit. La façon de prendre rendez-vous est une péripétie en elle-même.

Hong ren passe par les cuisines et demande à Hui Neng : " - Le riz est-il blanc ? " Hui Neng comprenant le sens de la question, répond qu'il est prêt : " - Il est déjà blanc mais il n'est pas encore vanné.

" Alors, avec son bâton, Hong Ren frappe le mortier trois fois. Rendez-vous est pris pour la troisième veille.

Cet enseignement commence par l'étude du Sutra du diamant :

" Subhuti demande au Bouddha :

Comment fixer l'esprit ?

Le Bouddha répond :

Il ne faut pas fixer l'esprit sur la forme, ni sur le son, ni sur le goût, ni sur le toucher, ni sur la pensée. Quand l'esprit n'est fixé nulle part, le véritable esprit apparaît. "

Hui Neng connaît l'éveil et formule ainsi sa compréhension :

" Qui se douterait que notre nature propre intrinsèquement est pure et calme

Qui se douterait que notre nature propre intrinsèquement est sans naissance ni destruction

Qui se douterait que notre nature propre intrinsèquement est complète

Qui se douterait que notre nature propre intrinsèquement est sans agitation

Qui se douterait que notre nature propre intrinsèquement produit les dix mille phénomènes. "

L'essentiel de l'enseignement chan est dit.

Hong Ren transmet la robe et le bol à Hui Neng faisant de lui son successeur direct. Puis, il l'aide à fuir vers le Sud. Les autres moines, en effet, par envie de ce pouvoir et de cette reconnaissance qui leur échappent, se mettent en chasse. Un ancien officier Hui Ming, rattrape Hui Neng, mais il sollicite un enseignement.

" - Sans penser au bien, sans penser au mal, quelle est le visage originel de Hui Ming ? " demande Hui Neng.

Hui Ming plonge dans le silence intérieur et perçoit sa vraie nature. Pour confirmation, il demande s'il existe un enseignement secret.

"- Puisque je te l'ai dit, ce n'est pas un secret. Si tu regardes en toi-même, alors le secret est en toi. " répond Hui Neng.

Puisque je ne peux résumer ainsi la vie de la soixantaine de maîtres, je vais parler de la seconde grande figure du chan, Ma Zu. Il a confirmé 84 successeurs et étendu l'influence de l'Ecole du Sud, émanation de Hui Neng par rapport à l'Ecole du Nord, représentée par son concurrent Shen Xiu resté auprès de Hong Ren après son départ. Il ne faut pas oublié que l'Ecole du Sud défend l'idée d'un éveil subit alors que l'Ecole du Nord parle d'un enseignement graduel avec des progrès dans l'éveil. Ma Zu vécut de 709 à 788. Son physique est remarquable. Il marche comme un buffle, regarde comme un tigre, touche son nez avec sa langue et possède un dessin en spirale sur chacune de ses plantes de pieds. Il pratique la méditation assise et enseigne à l'aide de Koan (gong han en chinois) . A l'occasion il pousse de formidables cris qui provoquent à l'occasion, l'éveil des disciples.

C'est avec plaisir que je trouve l'histoire des deux maîtres fondateurs de notre école.

Il faut savoir que l'enseignement chan se divisa en cinq courants ou écoles :

- école Yun Men

- école Fa Yan

- école Gui Yang

- école Lin Ji (Rinzai pour les Japonais)

- école Cao Dong (Soto pour les Japonais)

J'ai suivi l'enseignement Chan Cao Dong au Monastère de la Connaissance Parfaite dans le Yunnan. Je salue donc ces Maîtres au passage. Cao est le nom de Cao Shan Ben Ji (840-901) et Dong est le nom de Dong Shan Liang Jie (807-869).

Le premier, Maître Dong, participe à une cérémonie commémorative pour Ma Zu.

Le Maître interroge :" - Nous présentons des offrandes à Ma Zu, mais viendra-t-il ? "

Dong Shan répond : " -Il attend de trouver des amis, alors, il viendra. "

Le Maître loue alors le jeunot : " - Ce garçon sera facile à tailler et à polir. "

Mais Dong Shan refuse le compliment : " - Maître, ne jetez pas un sort sur un homme de bien pour en faire un bandit. "

Plus tard, il interrogera ses Maîtres avec ce problème qui l'obsède : " Quand les êtres inanimés prêchent le Dharma, qui peut les entendre ? " A chaque fois, il ne comprend pas la réponse et le maître finit par lever son chasse-mouches et dire : " - Entends-tu ? "

Au moment de quitter son maître Yun Yen, il lui demande quel est l'essence de son enseignement. " Seulement cela. " est la réponse du Maître qui sera le fondement de l'école Cao Dong.

Cao Shan Ben Ji est le second maître. Le dialogue de sa rencontre avec Dong Shan est très Chan.

" - Quel est ton nom ?

- Mon nom est Ben Ji.

- Redis quelque chose de plus élevé.

- Je ne dis pas.

- Pourquoi ne dis-tu pas ?

- Je ne m'appelle pas Ben Ji. "

Celui de leur séparation également :

" - Où vas-tu ?

- Je vais là où il n'y a pas de changement

- Là où il n'y a pas de changement, peut-on réellement aller ?

- Y aller, ce n'est pas non plus un changement. "

Cao est le nomade. Dong le sédentaire. Ce dernier a écrit Samadhi du Précieux Miroir et Cinq Degrés de l'Illumination.

L'école Cao Dong est toujours vivante en Chine et au Japon. On considère que son premier chef de file est un autre maître remarquable, Yun Ju Dao Ying, mort en 902.

Elève de Dong Shan, il a le même dialogue de rencontre avec lui que Cao Shan auparavant et que Dong Shan avec Yun Yen.

Un jour Dong Shan lui demande : " On dit que Xu Da est réincarné en empereur au Japon. Est-ce vrai ? " Réponse de Yun Ju : " - Si c'est Xu Da, il ne veut même pas être un bouddha, alors pourquoi vouloir être un simple empereur ? " A sa mort, il dit à ses disciples en guise de testament spirituel :

" - Trente ans après, dites seulement que c'est Cela. "

Chez Xue Feng Yi Cun (822-908) et Bai Zhang (720-814), le chan n'est pas inné comme chez le 6e patriarche, il est le résultat d'un travail fait de répétitions, d'assiduité, et d'efforts. De Xue Feng naîtront les écoles Yun Men et Fa Yan, de Bai Zhang naîtront les écoles Gui Yang et Lin Ji. A eux deux, ils sont les précurseurs de quatre des cinq écoles du Chan. Xue Feng était un moine cuisinier qui fit le tour des monastères pour rencontrer les grands maîtres. Il est connu pour son extrême modestie qui le faisait douter d'arriver à quoi que ce soit. Yun Men Wen Yan (864-949) est le fondateur de l'école Yun Men. Très loquace, il est cité dans les recueils de koan (18 koan sont de lui dans le Recueil de la falaise verte). Son arrivée chez son maître est mémorable. Il frappe à la porte.

Le Maître demande : " Qui est-ce ?

- Wen Yan.

- Pourquoi faire ?

- Je ne vois pas clair, s'il vous plait, instruisez-moi ! "

Le maître ouvre la porte, regarde Yun Men et lui claque la porte au nez. Le lendemain, même scène. Yun Men glisse son pied dans l'entrebâillement. Le Maître tire dessus en criant : "

-Parle ! parle ! ". Puis il repousse Yun Men et claque la porte. Le pied est resté coincé. Yun Men hurle et atteint l'illumination. Il sera, par la suite, élève de Xue Feng. Fa Yan Wen Yi (885-958) est un autre fondateur d'école. Voici un de ses Gong han. "

- Vous dites souvent : " Les trois mondes sont dans l'esprit, les dix mille phénomènes sont dans la conscience ", alors ce rocher qui est là, il est à l'intérieur de votre esprit ou à l'extérieur de votre esprit ?

- A l'intérieur.

- Pour quelle raison un pèlerin place-t-il un gros rocher dans son esprit ? " Ou "

- Selon toi, les anciens séparent-ils ou ne séparent-ils pas les dix mille formes ?

- Ils ne séparent pas les dix mille formes.

- Deux choses !

- En vérité, les anciens séparent-ils ou ne séparent-ils pas les dix mille formes ?

- Tu parles des dix mille formes, c'est quoi ? "

Bai Zhang Huai hai (720-814) a été à l'origine des écoles Gui yang et Lin Ji. Il fut le secrétaire de Ma Zu. Plus tard, il instaurera une règle pour les moines. On lui doit cette pensée : " Si la compréhension du disciple est égale à celle du maître, son mérite ne vaut que la moitié de celui de son maître. " Huang Po Xi Yuan (Ý 850) est un géant de plus de deux mètres. Il fut l'élève de Bai Zhang. Voici un de leurs dialogues caractéristiques : "

- D'où viens-tu ? demande Bai Zhang.

- J'ai ramassé des champignons au pied du mont Da Xiong. Répond Huang Po. - As-tu vu un gros tigre ?

Huang Po imite alors le rugissement d'un tigre et Bai Zhang se met en garde.

Huang Po lui donne une claque. Le soir même, montant sur l'estrade, Bai Zhang dit aux moines :

- Au pied du mont Da Xiong il y a un gros tigre. Je l'ai vu de mes yeux aujourd'hui et il m'a mordu une fois. "

Lin Ji Yi Xuan (Ý 866) fondateur de l'école éponyme, fut l'élève de Huang Po.

Leurs dialogues sont souvent ponctués de bagarres mémorables. Lin Ji est aussi un de ces maîtres capables de pousser des cris assourdissants. Il agit dans un total non conformisme. Au bout du compte Huang Po veut lui donner le bâton et le coussin mais Lin Ji projette de les brûler. Il deviendra un chef d'école qui porte son nom. Gui Shan Ling Yu (751-853) est un disciple de Bai Zhang. On cherchait un maître pour diriger le nouveau monastère de Gui Shan. L'épreuve discriminatoire était de dire une phrase à propos d'un simple pot de terre posé sur le sol. Les meilleurs des moines s'y essayèrent et finalement Ling Yu donna un bon coup de pied dans le pot, emportant le titre.

Yang Shan Hui Ji (807-883) est le fondateur de l'école Gui Yang. Il reçoit de Dan Yuan le système des 97 symboles inscrits dans un cercle que maître Hui Zhong avait reçu directement du 6e patriarche. Ce système sera utilisé dans l'école Gui Yang jusqu'au Xie siècle. Puis il sera le disciple de Yang Shan qui assurera sa formation.

Terminons rapidement notre tour d'horizon en recommandant ce petit livre qui sait offrir une mine de renseignements et de réflexions utiles de manière concise et agréable sans jamais tomber dans le poncif.

 

Note:

Le Gong an (japonais : Koan) est une question énigmatique posée par le maître au disciple qui doit trouver la réponse adéquate. Zong Gao au XIIe siècle enseigna cette méthode.

 

Serge Leclercq

Ménestreau, 27 septembre 2002

Petite Histoire du Tchan de Nguyen Huu Khoa

Seuil Points Sagesses N°130